Position du projet par rapport à des enjeux réglementaires et opérationnels

Étant donné la gravité du danger que l’alerte annonce, et les responsabilités qu’elle induit, l’alerte est exclusivement administrée en France par l’État (ministère de l’intérieur), et par ses représentants aux échelles locales (maires et préfets). Les textes de loi associés relèvent du Code de la sécurité intérieure en France (articles L.112-1, L.711-1 et -2, L.732-7) et les responsabilités perdurent eu égard au pouvoir de police administrative conféré aux autorités depuis les lois du 16 et 24 août 1790). De leur côté, les services de secours (police, gendarmerie et sapeurs-pompiers) sont les garants du maintien de l’ordre public, et ils doivent apprécier l’urgence des risques et des menaces par rapport aux moyens dont ils disposent (avec un impératif d’agir !) et face à la gravité des conséquences. Ils doivent aussi s’assurer que leurs actions sont activées au juste besoin et quand elles sont nécessaires. Dès lors, ils ont besoin de recevoir des ordres simples, rapides et ergonomiques, pour faciliter leurs prises de décision et les rendre moins chronophages. Ils veulent également disposer d’outils efficaces et robustes, pour gagner en opérationnalité (c’est l’objectif de la plateforme NexSis qui est en cours de déploiement en 2019), et avoir des outils viables économiquement, modulaires et partagés, pour gagner en fonctionnalité.

Les autorités peuvent cependant refuser d’envoyer une alerte à la population, à cause de la familiarité du phénomène (Vaughan, 2001)1 et à cause d’autres actions à mener dans l’urgence (mise en protection des personnes, réduction des Urgences Relatives – UR – ou Absolues – UE…). C’est le concept de risque « scélérat », en référence aux travaux de D. Goffman (1973)2, qui a décrit comment des entreprises dissimulaient des informations pour ne pas donner l’alarme et ne pas faire chuter les cours en bourse. Les autorités peuvent aussi recevoir des informations partielles ou être submergées de messages, alors qu’elles doivent prendre une décision dans un bref délai pour réduire les effets des premiers impacts. C’est la notion de « signal faible », définie comme étant « une information de faible intensité qui peut être annonciatrice d’une tendance ou d’un événement bien plus important » (Ansoff, 1975)3. Pourtant, il est illusoire de s’attendre à ce que ces signes avant-coureurs soient compris de tous (Blanco, 2008)4, d’autant que ces derniers restent souvent mal interprétés (Dedieu, 2009)5. La chaîne de l’alerte est par ailleurs « ralentie » par un processus de validation long et complexe, à cause d’un très grand nombre d’acteurs opérant au cours de la procédure et ayant des informations hétérogènes. Par exemple, en cas d’alerte tsunami, le Centre National d’Alerte Tsunami évalue à 17 minutes le temps pour détecter l’aléa (c’est le temps nécessaire pour l’alerte montante, qui ne sera pas étudiée dans ce projet) et à 32 minutes le temps pour diffuser des messages, alors même que les premières vagues pourraient arriver le long des côtes méditerranéennes en moins de 15 minutes (d’après les résultats du projet ALDES).

Il est donc urgent de mettre à disposition une solution agile (capable de s’adapter aux canaux en temps réel), souple (reposant sur une stratégie définie en peu de temps) et comprise pour toucher un grand nombre d’individus concernés (à condition de savoir ce qu’ils veulent comme information). Pour cela, l’État et ses représentants locaux ont besoin de s’appuyer sur des initiatives privées et scientifiques, d’autant qu’en 2022, l’application des standards européens induira une transformation inéluctable car l’article 110 de la directive européenne du 11 décembre 2018 impose l’envoi d’une alerte par SMS.


1 Vaughan D. (2001). La normalisation de la déviance. In: Bourrier, M. (Ed.), Organiser la fiabilité. L’Harmattan, Paris, 201-230.

2 Goffman E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne. 1 : La présentation de soi. Paris, France, Collection les Editions de Minuit, 178p.

3 Ansoff H.I. (1975). Managing surprise by response to weak signals. California Management Review, 18(2), 23-33 Paris, France, les Belles Lettres, 254p.

4 Blanco S. (2008). De quelques signaux faibles à une veille anticipative utile à l’innovation de rupture, La revue des sciences de gestion, 27-37.

5 Dedieu, F. (2009). Alerte et catastrophe : le cas de la tempête de 1999, un risque scélérat. Sociologie du Travail, 51, 379–401.